Point de vue n° 074
Pointe-à-Pitre, Place de la Victoire (97110)
Mots clés
Unité paysagère
Agglomération urbaine Pointe-à-Pitre/Abymes
Typologies spatiales
Espaces urbains
Thématiques
Équipements et espaces publics, Patrimoine historique et culturel
Intentions photographiques
La place de la Victoire est un lieu tout à la fois historique et emblématique de Pointe-à-Pitre et, au-delà, évocateur de l'histoire guadeloupéenne. Cette image, en s'attachant aux divers objets et motifs paysagers en présence recouvre l'ambition de proposer un condensé visuel de cette histoire. Aux aménagements de l'espace public (revêtement du parvis, aire de jeu,…) visibles au premier plan succèdent des bâtiments d'époques et de styles différents bordant le port, puis on distingue la fresque murale réalisée en hommage aux victimes de mai 1967 avant d'ouvrir vers la Darse, le MACTe et enfin les rives de l'Îlet à Cochons émergeant de l'arrière-plan.
(Sylvain DUFFARD, septembre 2016)
Analyse paysagère
Tout change et rien ne change
Le 25 février 2018, jour de ma première mission en tant qu’architecte-conseil de l’État en Guadeloupe, j’ai franchi le rideau imaginaire de palmiers bordant la plage idyllique, qu’en bon métropolitain nourri aux clichés exotiques mon esprit avait construit, pour le remplacer par la réalité physique et humaine d’un territoire traversé par des contradictions historiques, parfois violentes, se déployant dans un quotidien éloigné d’un certain idyllisme tropical. J’avais réservé un logement place de la Victoire dans le quartier du port de Pointe à Pitre. N’ayant jamais voyagé dans les Caraïbes, j’avais choisi ce lieu sans en connaître l’histoire, simplement sur une intuition, qui peut être se trouvait ancrée dans l’inconscient collectif que je partage avec les navigateurs transatlantiques. La rade de Pointe à Pitre, et précisément le « petit cul de sac marin » étant l’un des meilleurs mouillages de l’arc Antillais pour aborder par la mer le territoire de la Guadeloupe. J’arrivai en soirée, et découvrait un lieu quasi sans présence humaine, seulement occupé par trois marchands de « bokits ». En engageant la conversation, l’un deux m’informa qu’ici, sur la place, un « couvre-feu social » était implicitement établi dès 20h00, me conseillant de manière bienveillante de ne pas trop « traîner » en cette période de la journée. L’ambiance en ville était tendue.
Le ciblage délinquant est une des pluralités d’usage de la place de la Victoire, avec le passage, l’attente, la contemplation, la conversation, l’approvisionnement, le marchandage, la pratique sportive, les jeux, le repos momentané, le spectacle, la drague… C’est ici, dans ces figures d’usage, que les Pointois bordent leur temps, flottent, et se réengagent dans la fréquentation de la place et la spécificité de ses qualités intentionnelles, formelles et pragmatiques. Pour cela, les qualités écologiques du site, comme son environnement physique, son ambiance sensible, ses frontières, s’accordent à déployer un contexte singulier aux usages sociaux tout au long de l’histoire et des époques. Cette capacité de la place à influencer les rituelles quotidiennes des guadeloupéens se conjugue par le rapport aimable qui s’établit en ce lieu entre le sol, la mer et le ciel.
Le sol de la place agit comme une coulisse, du liquide au solide. Lieu historiquement fondateur de la ville de pointe-à-pitre, il s’arpente tel un slipway depuis la darse et l’océan vers la ville et au-delà. L’expérience du « couvre-feu » nocturne ne m’a à aucun moment procuré un sentiment d’insécurité, car la réalité physique d’une issue possible vers l’océan et l’horizon est ici tangible. La place de la Victoire est d’ailleurs un des seuls points de contact public et permanent de la ville-port avec l’océan. Un lieu de Pointe-à-Pitre qui accorde aux promeneurs cette expérience sensible du regard vers le lointain maritime. Mais ce lien fort à la mer n’est pas seulement poétique. Il est singulier de se rappeler qu’ici, en même temps que le décret d’abolition de l’esclavage en 1794, le révolutionnaire Victor Hugues débarqua de ses cales une guillotine qui fut installée sur la place. Un sillon fut creusé jusqu’à la mer pour y guider et y déverser le sang des suppliciés.
La place de la Victoire peut accueillir le silence, la vacuité, la violence ou la joie, son aménagement pourra se modifier au fil du temps. Le sillon creusé au 18e siècle n’est plus, bien heureusement, aujourd’hui des cercles de pierres s’enchaînent sous les pas des citadins. Tant que le sol de la place de la Victoire sera lié à l’océan par le ciel et le vent, ce lieu gardera toutes ses qualités et toutes ses capacités d’appropriation par les habitants.
Lionel ORSI,
architecte-conseil de l’État
juillet 2020
Au calme de la Place de la Victoire
Dès les premières étapes de la construction de Pointe-à-Pitre à partir de 1763, la Place Sartines est au cœur de la composition de la ville coloniale, avec sa trame en damier caractéristique. Victor Hugues, porteur du premier décret d’abolition de l’esclavage en 1794, lui donne son nom actuel. Bordée par l’ancien presbytère, l’ancienne caserne militaire devenue sous-préfecture, l’office de tourisme ainsi que par de belles demeures, la Place de la Victoire a toujours été la principale place publique de Pointe-à-Pitre.
A travers les décennies modernes, la Place de la Victoire a accueilli des usages divers. Lieu traditionnel de promenade à l’ombre des Sabliers centenaires, les anciens se souviennent aussi avec émotion des matchs de basket endiablés qui se tenaient sur la place. Les soirées y ont longtemps été animées, à proximité des terrasses de café comme à la sortie du cinéma-théâtre Renaissance. Sur les quais de la Darse, désertés par les navettes maritimes inter-îles, on ne croise plus que les saintoises des pêcheurs venus vendre leurs poissons.
Aujourd’hui, la Place de la Victoire peine à trouver un nouveau souffle. Les aménagements ponctuels se multiplient et se côtoient mais la foule et les concerts à l’arrivée des skippers de la Route du Rhum tous les quatre ans ne suffisent pas à faire oublier le calme pesant de la place le reste du temps. Le son du ka ne résonne plus que le week-end sous le kiosque. Il faudrait sans doute imaginer un tout nouveau visage pour la Place de la Victoire, premier mouvement ou acte majeur du nécessaire renouveau urbain du centre ancien de Pointe-à-Pitre.
Emmanuel BRIANT,
paysagiste
mai 2020